mardi 15 octobre 2013

Migrants domestiques, en situation de précarité





La situation des migrants domestiques au niveau de la Mauritanie est loin d’être enviable au vu des conditions difficiles qu’ils vivent quotidiennement dans leur travail, à longueur de journée. Ils sont appelés à faire toutes sortes de corvées : entretien des locaux, cuisine,  linge, arrosage des fleurs, courses pour des provisions, etc.…..C’est une pratique de l’esclavage moderne.
Difficile de décrocher une interview auprès de ces victimes par peur de représailles des employeurs, ou s’ils décident de se  livrer, ils le font  sous le sceau de l’anonymat.
FC est un migrant d’origine malienne, il est venu à Nouadhibou depuis plus de neuf mois à la recherche d’une vie meilleure, laissant derrière lui sa famille, qui vivote à cause de cette guerre que lui ont imposée les islamistes. Il fondait de grands espoirs en arrivant dans cette capitale économique qu’est Nouadhibou ; il espérait  trouver une vie de rêve, une vie meilleure. Mais très vite, ce jeune homme a du déchanter à cause  des difficultés rencontrées dans l’exercice de sa fonction. Il était employé dans une clinique de la place pour assurer l’entretien des lieux, avec un salaire de 30 000 ouguiya. (75 Euros), inférieur au SMIG, qui est de 31 000 ouguiya (77,5 Euros)
Au début, il travaillait de 9 heures à 12 heures, parfois jusqu’à 13 heures. Mais un mois après, l’employeur lui augmente des tâches : faire des courses pour payer des provisions, faire le thé, etc.… Au lieu d’une fois, l’entretien se fait désormais trois fois dans la journée. Il travaille de 9 heures à 3 heures du matin, parfois  jusqu’à 4 heures, sans possibilité de se reposer, ni dormir suffisamment, encore moins de vaquer à ses occupations, et subit toutes sortes de brimades, de la part de l’employeur, qui n’est jamais satisfait de son travail, trouvant toujours un prétexte pour le blâmer. A la moindre incartade, ce dernier n’hésite pas à le gronder à l’image d’un petit enfant. Excédé par ces comportements, FC a du abandonner son travail, après cinq mois d’activités et depuis il est à la recherche d’un emploi. 

Présentement, il songe à retourner au bercail, étant donné qu’il n’arrive pas à trouver un autre travail.
Son employeur lui avait promis de lui payer une carte de séjour pour qu’il soit en règle, une promesse qui est  restée lettre morte.
Car, actuellement le séjour des étrangers en Mauritanie est règlementé par la possession d’une carte, d’une validité d’un an. Elle coûte 30 000 ouguiya, qui est l’équivalent du salaire de FC.
Beaucoup de cartes de séjour sont en souffrance au Centre d’Enregistrement des Étrangers. A la date du 12 septembre 2013, près de 14303 étrangers sont enregistrés et seulement 5076 cartes ont été retirées. Ces retraits concernent principalement les ressortissants des pays d’Europe, de chine et du Maroc, l’affirmation est de l’agent Berrou qui officie dans le centre. 
La plupart des ressortissants des autres pays de la sous région, comme le Sénégal ou le Mail, n’ont pas retiré leurs cartes.

Au vu des salaires trop bas des domestiques, ils pourront difficilement réunir les montants suffisants pour payer la carte de séjour. Il faut noter que les 80%  des migrants sont constitués de domestiques, selon le constat de Niang Mamadou, un Responsable à la CGTM, une centrale syndicale.
Faute d’avoir la carte de séjour, c’est l’expulsion du territoire qui s’en suivra.
Ce fameux sésame instauré depuis plus d’un an, donne à son détenteur, la possibilité de circuler librement sur le territoire national, mais elle n’est pas synonyme d’autorisation de travail. Seulement, elle constitue une condition pour prétendre à un permis de travail, dont les démarches sont entreprises par l’employeur qui adresse une demande au Directeur de l’Emploi. Rappelons à ce sujet que  l’obtention de ce fameux document qu’est le permis de travail relève véritablement d’un parcours de combattant. La législation mauritanienne est très contraignante en la matière. Selon la loi n° 07-2004 du 6 juillet 2004, portant Code du Travail qui renvoie au Décret 74.092 du 19 avril 1974 et modifié par le Décret 2009-226 du 29 octobre 2009, tout travailleur étranger qui veut exercer un métier salarié, doit obtenir un permis de travail. Il existe deux sortes de permis de travail : le permis « A » et le permis « B ». Le permis « A » donne droit au travailleur étranger d’exercer une activité bien définie auprès d’un employeur identité durant une période  maximale de deux ans. Pour obtenir ce permis « A », il va falloir que le travailleur justifie une qualification  pour le poste ainsi choisi et qu’aucun Mauritanien ne puisse l’exercer faute de qualification professionnelle. Et en fin, il faut que « l’employeur ou le travailleur étranger » n’ait pas fait une infraction à loi par rapport aux dispositions règlementant « la main d’œuvre étrangère » durant les « cinq  dernières années ». Il est précisé à l’article 5,  toujours dans ce Décret 2009-226 du 29 octobre 2009 que les entreprises qui emploient plus de dix personnes, « l’autorisation d’occuper un travailleur étranger ne pourra être accordée que si elle est conforme à un plan de mauritanisation progressive et rationnelle  des emplois préalablement approuvés par le Directeur de l’Emploi ».

Le permis « B » donne lieu à  son titulaire d’occuper un poste salarié auprès d’un employeur dont la durée d’établissement sur le territoire national a atteint quatre ans. « Il est délivré, sur la base de la réciprocité, à tout travailleur ressortissant d’un Etat ayant signé avec la Mauritanie des accords, traités ou conventions en la matière. 
Un employé salarié ou indépendant peut prétendre au permis « B » à condition de résider en Mauritanie pendant « au moins » une durée de 8 ans et y travailler en respectant les lois et règlements en vigueur.
Pour revenir dans le cadre du travail domestique, il faut préciser que le cas  FC n’est pas isolé, il est beaucoup plus frappant chez les femmes comme en atteste ce témoignage de la Présidente du Comité de veille, Moulkheîry Sidiel Mustapha, pour les migrations à la CGTM, qui s’active dans la défense des droits des migrants. Rappelons au passage que la CGTM a ouvert un centre  pour les migrations en 2008, qui a pour mission de soutenir les actions des migrants, par la formation,  la sensibilisation de leurs droits et la défense de leurs intérêts auprès des tribunaux. Selon l’interview qu’elle a accordé à International Trade Union Confederation, Moulkheiry affirme que les femmes domestiques migrantes vivent une situation très déplorable, « parce que leur lieu de travail est à l’abri des regards, sans reconnaissance légale, la plupart du temps sans statut et sans contrat ».Toujours, selon elle, le lieu où elles dorment est incommode, un coin de cuisine peut  servir d’abri pour dormir et la disponibilité de la domestique doit être totale ; à toute heure de la nuit, elle peut être réveillée pour accomplir une tâche, prévient-elle. Réclamer son salaire quand il est en retard peut faire l’objet d’une violence physique, martèle-elle.
Cette situation que vivent les domestiques migrantes n’échappe pas à leurs consoeurs Mauritaniennes, qui subissent les mêmes problèmes. Hapsatou, une femme Mauritanienne travaillant comme domestique à Nouadhibou, raconte que dès sa prise de fonctions, l’employeuse a  laissé tomber intentionnellement de l’argent dans la salle pour vérifier si elle n’est pas une voleuse. Une pratique récurrente, qu’elle a vécue plusieurs fois. C’est le premier acte que la patronne pose dès le premier jour de travail.
Les travaux de domestique comme mentionnés en haut englobent plusieurs tâches, il est impossible de se reposer pour l’employée. Tous les membres de la famille, couchés confortablement dans les salons, agissant comme des rois et sollicitant à tout bout de champ, les services d’une domestique épuisée, qui n’ose pas broncher.
Avec des salaires misérables qui tournent autour de 20 000, 25 000 et 30 000 ouguiya (50, 62,5 et 75 Euros), d’après Hapsatou, ces montants peinent à couvrir les besoins primaires de l’employée.
Et la seule chance qu’une domestique puisse avoir, c’est de ne jamais tomber malade, de rester toujours en bonne santé, impossible pour un être humain, parce que sinon elle risque de perdre son emploi. Hapsatou l’a appris à ses dépens. Ce qui est triste dans son cas, c’est que la maladie lui est survenue à la suite d’un travail de dur labeur. Elle a été victime d’un mal de dos qui l’a contrainte à cesser de travailler. Ayant eu vent de cette information, la patronne déclara qu’elle n’a pas besoin d’une domestique malade, ce qui laisse présager qu’elle ne fera aucun effort pour soutenir la pauvre dans son épreuve. Le traitement de Hapsatou aura duré 7 mois, qui a nécessité beaucoup de moyens, pris en charge entièrement par les membres de sa famille. Fort heureusement, elle s’est tirée d’affaires et veut tourner la page du travail domestique.
Devant la situation très critique de ces êtres fragiles, le BIT (Bureau International du Travail) a décidé d’agir en organisant une conférence internationale en  juin 2011 à Genève avec la participation de plusieurs pays, dont la Mauritanie, pour l’adoption d’une convention sur les droits des domestiques à l’échelle mondiale. La Mauritanie a adopté la convention mais elle ne l’a pas encore ratifiée, d’où le travail de sensibilisation que mène la CGTM auprès de l’opinion publique pour sa ratification.
La centrale syndicale a organisé une grande manifestation à Nouakchott, en 2012, qui a vu la participation  de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, pour plaider en faveur de la convention, qui garantit les droits des travailleurs domestiques. Cette convention s’étale sur 21 pages, elle passe en revue tous les éléments essentiels pour une meilleure prise en charge par les Etats, des problèmes que rencontrent les domestiques dans leur travail. Désormais, les maisons où travaillent les domestiques ne seront plus fermées aux défenseurs des droits des travailleurs après la ratification de la convention, elles seront considérées comme des lieux de travail, donc accessibles au même titre que les entreprises, dixit Niang Mamadou.
L’article 7 de la convention résume tout le sens et la portée des changements de comportements que doivent opérer les employeurs des domestiques :
« Tout Membre doit prendre des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques soient informés de leurs conditions d’emploi d’une manière appropriée, vérifiable et facilement compréhensible, de préférence, lorsque cela est possible, au moyen d’un contrat écrit conformément à la législation nationale ou aux conventions collectives ».


Moussa Abou BA,
Nouadhibou Soir


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