dimanche 20 novembre 2011

L’école mauritanienne : Chronique d’une longue récréation

Notre école va mal. Elle doit être reformée semble t il. Une commission est mise sur pied à cet effet, chargée de mener à bien ce qu’il est convenu d’appeler les états généraux de l’éducation. Sous peu nous réfléchirons …du moins tenterons de le faire. Nous mettrons sur pied des commissions, estimerons un budget pour cela puis nous nous retrouverons à grand renfort médiatique selon un rituel et un cérémonial que nous maitrisons bien : les grands devant, les petits derrière ; comme on l’aime ici .Les grosses pointures, celles qui sont dans toutes les sauces ; celles qui savent légitimer, justifier, bénir ; celles là prendront le devant, assureront le relais des professionnels du secteur, de ceux qui vivent la réalité de l’école.

En véritables mutants, ils viendront nous parler d’hier et d’aujourd’hui. Ils parleront en leur nom et au nom des générations à venir. Ils ramèneront tout à une volonté politique ; au courage et à la clairvoyance d’un homme. Ils peindront pour nous, la vie, notre vie aux couleurs vives de leurs appétits insatiables. Ils nous ressasseront de vieux classiques à base d’unité nationale et d’identité culturelle. Ils réveilleront en nous promptement les démons de la fibre patriotique .Celle qui s’accroche à d’anachroniques réflexes d’une fierté déplacée, et à de vulgaires ressentiments historiques. Nous ferons déballage de nos maux, étalage de nos différences, si récurrentes, si profondes. Nous nous affronterons à coups de formules toutes faites, de théories écumées et de principes désuets. On se laissera happer, obnubiler. On valsera à leurs rythmes endiablés et ils nous entraineront dans l’hystérie infecte des petites victoires qui font dormir les peuples indolents. Et on parlera de tout sauf de l’école.

Et Comme hier, comme par le passé, nous mettrons du temps à nous réveiller de ces conforts douillets. Le temps passera avant que l’on réalise que les utopies ne nourrissent pas les peuples. Elles entretiennent l’illusion d’une vitalité, d’une construction; l’espace d’un temps .le temps qu’il faudra aux ardeurs pour s’estomper et au réel de faire étalage de toute sa cruauté. Nous mettrons ainsi du temps à être dans l’ère du temps ; celles des performances compétitives et des rendez- vous historiques. Nous mettrons du temps à comprendre que le problème, c’est nous.
Nous, dans nos insuffisances célébrées, nos errements vaniteux. Nous qui brandissons nos tares comme autant de trophées d’une bataille jamais engagée. Le problème c’est nous, pour n’avoir pas pu préserver le peu de lucidité qui nous restait et de l’avoir sacrifié sous l’autel de vieilles postures précaires d’une démagogie à outrance. Le problème c’est nous pour avoir prêté le flanc aux ridicules théories nationalistes qui faute d’être viables ont permis à des pouvoirs à court d’imagination d’entretenir l’illusion d’un activisme politique de basse facture. Qu’est ce que nous venons de loin !

Et l’on s’étonne que l’école aille mal .Et comment ? Quand nos enfants voient et vivent la médiocrité érigée en valeur .Quand la facilité s’impose comme règle de vie .Quand les réussites subites, incultes et suspectes sont promues, vantées, magnifiées. Quand le culte de l’effort et de l’excellence déserte les cœurs et les esprits .Quand la vie se résume à une quête de raccourcis et de chemins faciles .Quand l’essentiel devient superflu et le superflu important. On a tort de nous lamenter. L’école façonne les peuples portés par de grandes ambitions .Nos préoccupations sont encore hélas basiques .Nos jeunes manquent de symboles, de référentiel, d’idoles. La passion pour les sciences et les lettres qui accompagnent les grandes réussites est quasi absente. Toute velléité d’émancipation intellectuelle est bannie, étouffée. Autour d’eux, en plus du désert, tout est désert…

L’équation est simple : Il faut être né sous la bonne étoile, sous la bonne tente. Pas besoin de chercher loin ; et nos enfants ne sont pas dupes .Ils ont le sens de l’observation. Ils nous voient faire et ils nous copient …à la lettre en dignes descendants d’une lignée de fainéants. C’est notre vie qui déteint sur notre école. Les enseignants, la reforme, l’administration, ne sont que des illustrations de cette décrépitude ; de fidèles démembrements de cette corruption généralisée. Nous avons l’école que nous méritons ; celle qui sied à notre être et au parcours, on ne peut plus chaotique qui a été le nôtre.

Alors reformer l’école, ce n’est certainement pas d’aller chercher d’autres APC, d’inventer de nouvelles méthodes, de renforcer des coefficients ou même de reformer la reforme…Non ! Reformer l’école c’est reformer notre rapport à ce pays, à ses institutions et aux valeurs qui doivent les régenter .Reformer l’école, c’est accepter que nos visions ethnocentristes ne sauraient servir de repères à une jeunesse portée par l’élan de la mondialisation. C’est se refuser aux plaidoyers simplistes qui ramènent toujours l’équation de l’école mauritanienne à la sempiternelle dualité de l’arabe et du français.

Reformer l’école c’est surtout la soustraire à l’emprise des politiques pour en faire un instrument de notre développement socio- économique et non point un moyen d’affirmation personnelle pour politiciens à petits sous. Nous n’avons pas le droit de régler nos comptes dans l’arrière- cour de notre école .Nous n’avons surtout pas le droit d’astreindre autant de générations à une aussi longue récréation parce que occupés à mettre sur pied des argumentaires douteux venant d’horizons lointains et servis à un peuple désabusé par tant de…mauvaise foi.
Ibrahima Falilou
Professeur

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